Lettre à toi

Une envie soudaine de t’écrire pour t’encourager à te retrouver.

Chère toi,

Si aujourd’hui j’ai décidé de t’écrire, c’est que je ne sais plus comment te joindre. J’ai l’impression que nous avons perdu le contact, j’ai un mal fou à te recevoir, j’ai dû passer sous un tunnel, après ce boulevard, cette statue, cette place, ce rond-point qui portent tous ton nom. Liberté tu es partout et nulle part, indicible et tonitruante, bavarde et spectaculaire, foisonnante et clairsemée, intransigeante et ambivalente, vaporeuse et palpable. Tu surgis quand on ne t’attend plus, tu repars aussitôt, alors même que tu viens d’arriver. Tu es là, mais pas vraiment, en léger différé. Tu es chez toi mais jamais vraiment à ta place. Le laptop sur mes cuisses en tension, j’essaye de te trouver à travers les flux, partout et nulle part, derrière tout, et n’importe quoi. Tu es le postulat de départ et la fin inachevée, scandée, vociférée, parachutée, immolée, transcendée, brûlée. Dans l’hors et l’intérieur, à la périphérie, au centre des débats, dans l’arène et l’hémicycle, en mode antique et en version numérique. Partout on t’écrit, on te scande, tu t’es glissée entre les lignes, emmurée sur les frontons, infiltrée dans les non-dits, poinçonnée, gravée, sculptée, frappée, pixélisée, taguée.

Liberté, je t’achète, je te perds, je te chéris, j’écris ton nom, je meurs pour toi, sur scène et dans la vie, sur les plages de Normandie, les tranchées, les prisons, les internats de jeunes filles, tu fais le mur, sur les places des grandes capitales tu te déploies. Je te peins du romantisme au symbolisme, liberté tu work in progress, le long de la Seine, tu déambules en fanfare militaire, ton souffle surgit des océans, des amphithéâtres, des champs de coton, des déserts, des sous-sols ; tu coules dans les veines, jusqu’aux bouches de métro où tu t’engouffres, dans les cœurs où tu palpites. Partout et nulle part, tu t’es incarnée, après que les têtes ont été tombées, te voilà érigée en statut à l’aube du nouveau monde. Liberté, on t’a emprisonnée, d’autorité on t’a dressée ; en murs te protéger, ne pas t’atteindre. Liberté infranchissable.

Que peut-on faire de plus, quand on te sent menacée, quand on porte atteinte à ta raison d’être ?

Liberté tout et n’importe quoi, portée comme un enfant, allégorie, parabole, je t’accouche et tu me nourris. Liberté devise, tracts, capitales, way of life, absence de soutien-gorge, liberté french touch, liberté DJ, liberté fond sonore, yaourts, cigarettes, hymne, t-shirt, chanson des Enfoirés. Liberté, je tue pour toi, je défile dans ces rues, ces boulevards, ces avenues qui portent ton nom, ici et là-bas. Liberté, tes enfants des terrasses défilent eux aussi, ils ne savent faire que cela, défiler dans ces rues qui portent ton nom. Que peut-on faire de plus, quand on te sent menacée, quand on porte atteinte à ta raison d’être ? Liberté, tu le sais, on traverse des mers, on fuit les guerres avec l’espoir de vivre sous ta bannière, liberté salvatrice, au compte-goutte, figure de proue des radeaux de fortune, au cas par cas, par milliers, en souffrance, sur les grèves, tu t’échoues.

Liberté, tu n’inspires plus, tu n’es plus un modèle, tes enfants te défient, ils ne se reconnaissent pas en toi. Ils te trouvent trop légère, pas assez vêtue, pas assez pudique, dévergondée, effrontée, émancipée. Trop courtes, ou trop longues, tes jupes s’emmêlent, sous nos « je suis », tu perds le Nord quand les dictatures défilent en ton nom. Liberté tu inspires trop de désir, tu deviens hors de prix, inaccessible. Liberté violée, punie, sacrifiée. Liberté te cacher, te voiler, te bâillonner, tu en as trop fait, tu en as trop dit. Liberté surmédiatisée, trop exposée, banalisée, galvaudée, réprimée, priée de circuler, liberté en délit de faciès, liberté en état d’urgence. Liberté universelle et en quête d’identité.

Liberté, tu t’essouffles, tu vieillis, tu tournes en rond, tu radotes. Faudrait-il te lifter, te réformer, te repenser, te remonter un peu ce sein ? Liberté tu te caches, tu as honte, tu désespères, tu déprimes, de ta grotte tu nous contemples, tels des Playmobils avec du sang, nos ombres s’agitent dans tous les sens en ton nom.

Alors voilà, je t’écris, je me donne cette liberté.

Photographie à la Une © Loïc Mazalrey.

Be first to comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.