Te haré invencible con mi derrota

Je te rendrai invincible par ma défaite.

Angélica Liddell a 42 ans lorsqu’elle crée ce spectacle.
Jacqueline du Pré a 42 ans lorsqu’elle décède des suites d’une sclérose en plaques.
Je n’ai pas encore 42 ans lorsque j’écris ces mots.

Violoncelliste de génie, Jacqueline du Pré interprétait à la perfection, à 20 ans tout juste, le concerto en mi mineur de Edward Elgar. Sa carrière fut avortée quelques années plus tard lorsqu’on lui diagnostiqua une maladie qui l’emportera. S’agirait-il ici de parler de la maladie, de la mort, de la souffrance, d’une sépulture à une âme-sœur ? Non, pas seulement, cela serait beaucoup trop simple.

Comprendre pourquoi moi (qui ne désire pas abandonner la vie mais qui souhaite mourir).

Au centre du plateau, au pied d’une chaise vide, s’alignent cinq violoncelles dont l’un sera littéralement fracassé. Sur l’un des côtés, les symboles de la vie, de l’espérance, un portait de Jacqueline du Pré, des pains, un arbre ; de l’autre, ceux de la mort, de l’enfer, une carabine, une main de cire qui sera consumée par un chalumeau, un micro-ondes. Dans la veine des membres de sa « famille », on retrouve chez Angélica Liddell du Rodrigo Garcia avec la puissance des images dans leur allégorie Marina Abramovic où le corps est utilisé comme questionnement de la violence.

Te haré invencible con mi derrota est une de ces performances radicales où le spectateur se laisse soit contourner par ce qu’il est en train de se passer ou qui, au contraire, se laisse traverser. Dans ce cas, il faut également accepter de supporter cette souffrance à l’état brut qui nous est balancée sur scène.

Comprendre pourquoi moi (qui, peu à peu, me suis convertie en une boule d’angoisse, de terreur, de solitude et de méfiance).

L’exsanguination est une chose mais Angélica Liddell porte en elle le poids du vécu intérieur, du chaos, des maux de la société et le transforme en une substance infiniment vraie. Elle apparait pleinement investie de la matière scénique qu’elle a mise en place à la limite de la possession, dans un mysticisme qui lui est propre, un ange décharné dans sa robe blanche, une âme en quête d’expiation.

Les prochaines dates sont à guetter de près car ce seul en scène est rare dans les programmations des salles européennes. Angélica Liddell est régulièrement présente au Théâtre Saint Gervais depuis 2011 avec El año de Ricardo, Ping Pang Qiu, et plus largement à Genève notamment lors du dernier Festival de La Batie où l’on avait pu voir ses deux dernières créations Primera carta de San Pablo a los Corintios et Esta breve tragedia de la carne. On ne peut donc ici que saluer le réel engagement du Directeur Philippe Macasdar qui prend le parti de programmer, sept ans après sa création, Te haré invencible con mi derrota au risque que le public, même averti, n’en ressorte pas indemne. Cette performance nécessaire nous replace en quelque sorte aux origines de la rédemption universelle et de ce qu’allait devenir une artiste majeure de la scène contemporaine.

Image à la Une © Susana-Paiva.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

1 Comment

  • […] Ping Pang Qui, présenté en Avignon en 2013 à Te haré invencible con mi derrota, re-présenté quelques rares dates cette saison, Angélica Liddell est une artiste majeure allant […]

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