King Kong Théorie

Parole brute de femme(s).

Dans l’œuvre de Virginie Despentes, romancière et réalisatrice, King Kong Théorie occupe une place charnière. Entre autobiographie et manifeste pour un nouveau féminisme, ce livre d’une intensité folle est une véritable analyse sociétale abordant des sujets souvent tabous. Pour sa première mise en scène présentée au Théâtre Saint Gervais, Émilie Charriot s’empare avec brio de ce texte, joue sur les paradoxes et crée une onde de choc.

Sur un plateau nu, où seules les lumières créent les ombres sur les corps de deux femmes qui se racontent, sans jamais dialoguer. Elles s’adressent frontalement au public dans une immobilité en mouvement où la gestuelle des corps maintien une tension émotionnelle.
À la première, Géraldine Chollet, on a demandé de parler de l’échec, notion abordée avec pudeur dans une sincérité sans artifices ; avoir l’impression de ne pas y arriver, être là mais toujours un peu à côté, vouloir ressembler à cette autre personne qui a l’air de mieux s’adapter. Cette sorte d’introduction aux mots de Virginie Despentes qui vont être lâchés par Julia Perazzini pose d’emblée les questions sur la condition de soi, la place que l’on accorde aux regards, jugements, et autres idées pré-formatées qui exacerbent la notion de conformisme.

[…] J’écris donc d’ici, de chez les invendues, les tordues, celles à qui les hommes ne font pas de cadeau, celles qui n’en ont rien à foutre des mecs mais que leurs copines intéressent ; aussi bien que pour les hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ceux qui voudraient l’être mais ne savent pas s’y prendre.
Parce que l’idéal de la femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, de toute façon je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas. […]

Il n’est pas seulement question de féminisme mais essentiellement des paradoxes qui lient une chose et son contraire ; la féminité à la virilité, l’émancipation à la tradition des genres, et la gravité d’un propos liée à une certaine légèreté parfois mais qui permet de trouver une juste distance.
Le témoignage est délivré à vif sur le vécu d’un viol et la possibilité de s’en remettre brisant l’idée de la victimisation du sexe faible ; sur la prostitution et la possibilité de faire ce métier en ayant la faculté de décider ; sur le porno et la possibilité d’en faire une discipline de qualité détournant les stigmatisations.

King Kong Théorie aborde autant de sujets tabous, gardés dans des zones de silence ou évoqués de manière détournée ; une parole qui touche aussi bien les femmes que les hommes.

Photographie à la Une © Philippe Weissbrodt.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

3 Comments

  • […] Sélection Suisse en Avignon se révèle exigeante et ambitieuse en proposant des spectacles comme King Kong Théorie par Émilie Charriot et Traumboy par Daniel Hellmann qui abordent des sujets de société comme le […]

  • Répondre novembre 25, 2016

    Ivanov | Carnet d'Art

    […] la sexualité et ses tabous dans l’écriture contemporaine, dont le premier volet était King Kong Théorie, la metteure en scène fait un petit détour en adaptant le texte de Tchekhov avec beaucoup de […]

  • […] Théâtre de Lausanne, Passion simple marque l’aboutissement d’un cycle pour Émilie Charriot. King Kong Théorie d’après Virginie Despentes, Le Zoophile d’après Antoine Jaccoud ont été les deux premières […]

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